Rescapée d’une tuerie à l’école
- Écrit par Annick Le Pennec
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En me penchant par-dessus la rambarde, je vis un homme grand, habillé de noir des pieds à la tête, qui tirait au fusil dans toutes les directions, et les gens qui fuyaient tout autour.
Propos recueillis par Annick Le Pennec.
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ALP : Charlène Lusikila, le 13 septembre 2006, un homme ouvre le feu dans ton lycée à Montréal, tuant une élève, et blessant 19 personnes. Ta vie alors ne tient plus qu’à un fil.
Charlène : En effet, j’entamais ma 2ème année pré-universitaire à Dawson College. J’espérais devenir journaliste. Je venais de fêter mes 18 ans, et comme beaucoup de jeunes à cet âge, je me sentais tellement forte. Que pouvait-il m’arriver ?
Ce matin-là, avant de quitter la maison, mon frère m’avait conseillé de mettre un jean plutôt qu’un short. Qui aurait cru que ce détail me sauverait la vie ?
Notre lycée public ne filtrait pas les entrées, si bien qu’il était courant d’assister à des arrestations de dealers par des policiers en civil. Je remontais seule après manger vers le cinquième étage quand le son puissant et sec d’une détonation retentit du rez-de-chaussée.
Je fis demi-tour. Toujours à la recherche du dernier scoop pour le journal de l’école, il fallait que j’aille voir !
J’imaginais qu’un distributeur de boissons avait été renversé ou qu’une arrestation plus musclée que d’habitude avait lieu, lorsqu’au troisième étage une jeune fille terrifiée pris ma main.
En me penchant par-dessus la rambarde, je vis un homme grand, habillé de noir des pieds à la tête, qui tirait au fusil dans toutes les directions, et les gens qui fuyaient tout autour. Je me précipitais en serrant mon sac bourré de livres, sans penser au danger. Un peu plus bas, je m’écroulais brutalement, et ma nuque heurta violemment les marches.
Lorsque je repris connaissance après quelques minutes, un silence glacial régnait. Mon premier réflexe fut de me relever mais pour une raison que je n’analysais pas, je n’y parvins pas. Toute ma vie défilait devant mes yeux.
Un étudiant fuyait par le haut. Je le suppliais : « Ne me laisse pas mourir là, toute seule ! ». Il me souleva et m’emporta en me serrant très fort : une douleur horrible me déchira la jambe.
Un second garçon vint l’aider. Ils m’allongèrent sur des chaises dans une classe où les élèves s’étaient barricadés. Tous pleuraient de terreur. La professeure paniquait. Personne ne se doutait qu’à ce moment-là notre agresseur s’était déjà donné la mort et que tout était fini.
Un des gardiens qui se trouvait là s’approcha pour observer mes blessures. En l’entendant parler dans son talkie-walkie je compris que le tireur m’avait touchée.
Plus tard, transférée à l’hôpital, le chirurgien, qui butait sur l’état de mon fémur, parlait de m’amputer. Ma mère restait très calme. Elle avait donné son cœur à Jésus-Christ depuis plusieurs années, et pria durant toute l’opération. Après sept heures de bloc, ma jambe avait été reconstruite.
La balle avait frôlé l’artère fémorale, mais mon jean était si serré qu’il avait empêché celle-ci de lâcher en comprimant la plaie. J’avais perdu tant de sang que mes lèvres et mes ongles étaient bleus.
On m’a transfusée pendant deux ou trois jours. Si j’avais porté un short ce jour-là, je serais probablement morte parce que l’artère n’aurait pas résisté.
ALP : Tu as survécu, mais moralement ?
Charlène : C’était dur. J’aurais pu mourir et j’avais été épargnée, contrairement à Anasthasia, l’élève qui est décédée. Mais au lieu de me réconforter, ça me culpabilisait ! Pourquoi elle, et pourquoi pas moi ? Nous étions du même âge à six jours près et avions fréquenté les mêmes établissements scolaires. C’était si troublant ! Et puis il y avait cette terreur permanente qu’on vienne me tuer.
Bien que tout danger ait disparu, on avait posté des policiers jour et nuit devant ma porte pour me rassurer. Mais rien n’y faisait. Je vomissais de peur. Pendant des semaines je n’avalais rien tant le choc psychologique était violent. Le moindre bruit me paralysait. Je dépérissais.
Et plus les jours passaient, plus l’idée d’être immobile et inutile sur mon lit me révoltait… De plus, les médecins se montraient pessimistes quant à retrouver ma mobilité. Le tout ajouté à mes propres incertitudes et problèmes. Par moments, j’aurais préféré mourir ce jour-là !
Mais Maman priait pour ma vie. Elle s’est libérée de son poste d’infirmière pour s’occuper de moi à plein temps. Au début elle me veillait jour et nuit. Je me souviens de sa main posée sur mon front pendant qu’elle priait au beau milieu de la nuit. Elle me disait que même si je n’y croyais pas, ça ne changeait rien au fait que Jésus était près de moi pour me bénir !
ALP : Tu n’as rien dit sur l’agresseur. Lui en voulais-tu ?
Charlène : En fait, j’ai vite compris que c’était un garçon perturbé qui s’était retranché dans l’univers de la haine. Il ne m’avait pas visée comme Anasthasia, qu’il a achevée froidement. C’est une balle perdue qui m’a blessée. Je n’éprouvais pas de haine envers lui. J’étais triste et choquée pour toutes les victimes et leurs familles, y compris celle du tueur.
Sa maman a développé un cancer après cela. C’est vrai que l’univers gothique qui était le sien me mettait mal à l’aise. Mais lui, je l’ai assez vite considéré comme une victime. Adolescent, il avait subi de l’intimidation.
Il était renfermé et différent des autres jeunes. Il en voulait à tout ce qui représentait ceux et celles qui l’avaient fait souffrir. On a su grâce à son blog qu’il avait prévu deux autres agressions ce jour-là. Sa voiture était pleine d’armes. Mais grâce à l’intervention immédiate des policiers en civil, ses plans avaient échoué.
ALP : Alors quand as-tu commencé à "remonter" ?
Charlène : Quand j’ai repris les cours par correspondance. Ça m’occupait la tête. Je me suis mise aux béquilles avant même que les plaies soient totalement refermées. Je voulais tellement marcher ! La rééducation était douloureuse et difficile. Mais je suis passée rapidement à la canne, et dès janvier 2007, j’ai pu reprendre les cours à Dawson.
Là, on me regardait comme une miraculée, une héroïne qui avait bravé la mort. C’était galvanisant pour le moral. De plus, mes notes étaient bonnes ! Toutes les victimes ont bénéficié de suivi post traumatique à l’occasion duquel nous nous écoutions beaucoup les uns les autres. Mais moi, plus le temps passait, moins je m’exprimais sur le sujet. Je cherchais tout naturellement à tourner la page.
ALP : Oui, mais un drame comme celui de Dawson College peut-il vraiment s’oublier ?
Charlène : En effet, si après deux années tout semblait réglé, tapie au fond de moi, une profonde tristesse me rongeait. Je luttais. Je ne parvenais pas à évacuer cette peur d’être tuée brutalement. J’évitais toujours la foule.
Ma vie intérieure était teintée de douleur et de noirceur. Je ne comprenais pas ce que je faisais sur terre. Je voyais de temps en temps une amie de Dawson qui était chrétienne.
C’était une fille si bien dans sa peau que ça m’agaçait parfois. Un jour, elle me dit qu’elle savait qu’au fond de moi, ça n’allait pas tant que ça. Quelle intrusion ! Mais j’étais bien obligée d’admettre que c’était vrai. Quelques temps après, je reçu d’elle un message qui disait combien elle priait pour moi. Elle m’invitait dans son église. J’acceptais.
Ce soir-là, je compris qu’on est tous marqués par la noirceur de l’existence, que sans Jésus on ne sait pas ce qu’on fait sur terre, que l’humanité dérive, que sans son amour on est voué à une vie errante, alors que lorsqu’on lui ouvre nos cœurs, on reçoit son pardon, sa paix, sa joie ainsi que la vie éternelle : on n’a plus rien à craindre de la mort ! Après cela, j’ai dit :
« Mais moi, je veux cette vie-là. Je veux tout ce qu’il a dit ! Comment on fait pour avoir ça ? » Et mon amie, toute surprise, a prié avec moi pour que Jésus vienne dans mon cœur. Immédiatement, toute noirceur a disparu de mon âme.
ALP : Cette rencontre avec Dieu a-t-elle produit un effet sur tout ce qui se rapporte à la fusillade ?
Charlène : Oui. D’abord toute crainte de la mort s’est envolée. Ensuite j’ai éprouvé une immense compassion pour le tueur, Kimveer Gill. J’ai compris que cet homme a agi ainsi parce son univers de haine lui a volé son bon sens, et l’adversaire de nos âmes a profité de sa vulnérabilité pour l’utiliser comme un jouet.
Même s’il croyait maîtriser sa vie, il se trompait. Nous ne maîtrisons rien ici-bas. Personne. Si j’avais pu lui dire combien Jésus l’aimait et voyait sa souffrance ! S’il avait entendu combien il était précieux aux yeux de Dieu et que son existence pouvait être utile, peut-être ne l’aurait-il pas gâchée. S’il avait su que l’amour est la plus puissante des armes… J’ai expérimenté un pardon total.
J’aurais tellement voulu pouvoir dire aux membres de sa famille à quel point je les comprends, et que Christ peut les aider comme il l’a fait pour moi. Le pardon, qui me semble avoir été difficile à vivre pour plusieurs des victimes et leurs familles, est le seul axe qui permet d’avancer réellement après un tel traumatisme. Pardonner déverrouille notre vie et permet de guérir.
Cette rencontre avec Christ m’a tellement transformée ! Je me sens si reconnaissante, car ce qui aurait dû m’anéantir s’est changé en bénédiction. Aujourd’hui, grâce à Dieu, je me sens plus proche que jamais de ceux qui souffrent. D’ailleurs j’ai changé d’orientation.
J’ai laissé le journalisme pour l’aide sociale… Cela peut paraître incroyable, mais Dieu m’a enrichie par cette épreuve ! A travers elle et son amour, Il m’a rendue capable de comprendre et de secourir les autres. Et toute ma force, je la puise en Lui.
ALP : Le 7 janvier dernier, à l’annonce de la tuerie, comment as-tu réagi ?
Charlène : Dès que l’info est tombée, immédiatement, une panique irrationnelle m’a saisie : « Et si les terroristes débarquaient chez nous pour me retrouver et me tuer ??? » Et puis j’ai réalisé combien mon existence n’est plus la même qu’en 2006. Aujourd’hui, j’appartiens à Jésus-Christ : je suis sauvée quoi qu’il arrive !
On peut prendre ma vie, mes biens, tout… Ce qui m’advient ici-bas n’a pas d’incidence sur ce qui m’attend là-haut. Et c’est sûrement pour transmettre ce message d’amour que ma vie a été épargnée. Je n’ai plus à avoir peur !
ALP : Que penses-tu de cet événement ?
Charlène : J’éprouve une immense peine pour les victimes et leurs familles, parce que je suis passée par ce qu’ils traversent. Et je prie pour eux. Quand les messages « Je suis Charlie » se sont affichés partout, j’ai compris l’élan de solidarité face à un tel acte.
Mais j’ai pensé aux communautés musulmanes indirectement touchées par la tuerie, et à ces jeunes que ces idéologies extrémistes enlèvent à leurs familles sans grand espoir de retour.
Ce sont des hommes volés à l’avenir que Dieu leur destinait. Ils vivent leur religion sans certitude et sans paix. Ils agissent avec la peur de ne jamais en faire assez, ce qui les pousse à des actes meurtriers.
S’ils connaissaient la grâce de Dieu en Jésus-Christ, jamais ils ne commettraient ces choses ! Ils ont été manipulés. Et même s’ils sont responsables de leurs actes, ce sont des victimes sur le plan spirituel. J’éprouve de la compassion pour leur âme dupée. Qu’est-ce qui les a menés là ?
Rien ne les distinguait des autres au départ. Ça aurait pu être moi, ou mon frère, ou quelqu’un des miens. Nous, les chrétiens, savons par la Bible que chaque être humain est un meurtrier potentiel. Jésus-Christ seul possède la puissance de changer les cœurs les plus endurcis. Et c’est ce qui rend la grâce de Dieu si extraordinaire et passionnante !
ALP : Une dernière chose ?
Charlène : L’amour et le pardon en Christ sont une puissance libératrice. Les français, les musulmans en ont besoin. Il faut franchir les barrières et les aimer. Il nous faut briller de l’amour de Christ partout où nous avons accès. Et Jésus fera le reste !
En ce moment, Charlène habite Mantes -la-Jolie. Son mari et lui se consacrent à temps plein à l'église comme missionaires. "À la base, je suis de Montréal, au Québec, Canada. Je suis travailleuse sociale" elle dit.
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